Ouro Preto est la plus belle ville du monde. Oubliez Venise, oubliez tout. C’est aussi la ville où l’hormone de la boulimie dévale le corps en crue éclair de gourmandise urgente et passionnelle : églises, pierres et torresmo.
Je passe la première nuit à côté de la place Tiradentes. Hôtel pour Brésiliens. Question de frontières interpersonnelles. Les murs n’arrivent qu’à un mètre du plafond, permettant aux voisins de partager lumière, musique et scènes de baise. Ça grogne.
Petit-déjeuner fade, mais calorique. Chacun ses exigences. Et puis je sors. Où aller ? Derrière, São Francisco de Assis ; de l’autre côté de la place, Nossa Senhora de Carmo ; sur la colline descendant de la rodoviária, NS das Mercês e Misericórdia (non, celle-là en restauration), São Francisco de Paula et, sur la grande place aux pavées noires et lisses, les magasins de pierres. Bacs entiers de couleurs étincelantes, vitrines luisantes et petits étuis blancs à l’ouate de coton sous ses 2,7 carats de préciosité, Première journée à essuyer le menton.
En bas, je trouve un bel hôtel aux azulejos bleus. Quinze réais la nuit. Sauf, malheureusement, demain soir, samedi. « Nous avons un groupe. » Alors, si cela ne me gêne pas, je passe la nuit à l’hôtel voisin, même propriétaire, et reviens dimanche. Je reviens dimanche et la chambre est relouée. On me propose un taudis avec matelas bien déchiré au fond d’un tunnel à côté des gravats. Je propose qu’ils revoient leur parole et passe à la Pousada Ciclo da Ouro, familiale et très sympa.
Encore des églises : NS das Mercês e Perdões, NS da Conceição, et des chapelles, des oratoires, des fontaines, les fameux chafarizes, fontaines aux têtes de gargouilles aplaties et, sur les ponts de pierre, des croix le temps d’une petite prière entre chapelle et oratoire.
Partout dans cette ville, des vues spectaculaires. Flancs de côtes à tuiles d’argile et collines vertes sur qui sautille le crapaud colérique du pic d’Itacolomi.
Ville d’églises par excellence. Alors, devine, je visite.
São Francisco de Assis est réputée pour être l’une des églises-phares du baroque brésilien. Ça veut dire sculptures d’Aleijadinho, peintures d’Athaíde, beaucoup d’or, et encore plus de monde. C’est pire que les soldes.
Frayant chemin entre trois groupes différents, chacun avec son guide aussi narcissique qu’inventif, je réussis à m’approcher du maître-autel. Peuplé d’anges de toutes les tailles, l’effet général est très beau, mais l’ambiance de cirque rend difficile une contemplation calme. Sur l’estrade, des tables Louis quelque entre XVI et d’or font croche-pied aux saints rois charpentiers et, tout autour, le bric-à-brac standard de luths, étoiles, nuages et putti rouge-à-lévres. Au milieu, les cinq plaies deux mains deux pieds un cœur du message trois-en-un : souffrir.
Comme j’ai dit, j’ai du mal à voir. Patient, noble, mignon et altruiste, je passe à la sacristie. Là, peinte au plafond, une sélection d’articles spécialisés dans les punitions du derme qu’adorent les Franciscains et, au mur, en cas d’épanchements excessifs, un lavabo. Ici, si les enfants veulent bien s’arrêter de courir partout et prêter un peu d’attention, on peut lire : Hæc est, ad Cœlum, quæ, via, ducit Oves que le panneau d’information traduit par Este é o caminho que conduz au céu, soit : Voici le chemin qui mène au ciel. Quel est le mot qu’ils ont négligé de traduire ?
Encore un groupe, encore des dizaines de flashes. C’est pas bien grave, leurs enfants peuvent regarder les photos. Si les couleurs tiennent toujours.
Puisque tout le monde est maintenant ici, je peux retourner à la nef. Mais, comme au marché, pour cent clients qui partent cent autres nouveaux arrivent. Curieusement aussi, le mot freguês qui veut généralement dire « client » aujourd’hui, voulait dire « paroissien » avant, donc on n’est pas loin. Surtout dans les cris des vendeurs. Et à chacun le plus beau poisson. Les guides se concurrencent pour voir qui peut bramer au plus fort, et les hordes de hooligans, du moment qu’ils ont fait leurs photos, tourné leurs vidéos, ou touché pour voir si c’est vrai (c’est tout juste qu’ils ne crachent pas par terre), n’ont rien à cirer de ceux qui demandent un peu de retenu. Si, quelques-uns, tous fiers de pouvoir dire « fuck off ».
Je suis touriste, j’aime bien le tourisme, et l’héritage mondial n’appartient pas à moi mais à tout le monde. Le problème à Ouro Preto est justement ça : tout le monde sans aucun contrôle.
Au Secrétariat du Tourisme, on lamente les guides sauvages – « c’est des menteurs, des flambeurs, ils adorent s’entendre » – mais à qui la faute ? Des guides professionnels existent, responsables et compétents. Pendant l’apologie, j’entends une phrase curieuse. Alors que la ville elle-même ne peut décider quand les cars arrivent, les églises pourraient facilement régler les admissions, la question a déjà été soulevée, mais « os donos veulent gagner de l’argent ». Les propriétaires veulent… En effet, dans chaque église on voit, caché parmi les notices paroissiales, le bilan du mois. Je n’en ai pas vu qui faisait moins de 20%.
J’essaie plus tard, puis je laisse tomber. Au suivant.
NS dos Mercês & Perdões, église des démunis. Très loin de l’opulence et arrogance des pauvres Franciscains. Derrière la chaux, les murs se boursouflent de moisissure et sels. Fissures se réparent à la va-vite, ou pas. Il fait frais, presque froid, dedans. Mais les colonnes sont belles et simples, spirales comme serpents amoureux, forets géants arrondis, ou enguirlandées de fleurs comme les cornes de taureaux mythologiques.
Comme d’habitude, les héros du martyre : Catherine qui a donné son nom, sa vie, mais pas sa virginité, à la roue ; et Laurent, grillé, bleu s’il vous plaît.
Malgré le surchargement standard du retable au maître-autel, elle reste relativement discrète.
Décidément, pas d’humeur…